Qu’il cherche à atteindre un état de conscience modifié ou qu’il souhaite se détendre, l’être humain a testé et inventé de nombreuses substances capables d’altérer ses perceptions. Ces psychotropes sont réglementés par la convention des Nations Unies.
La molécule active des champignons hallucinogènes, la psilocybine, est internationalement classée comme « substances ayant un potentiel d’abus, présentant un risque grave pour la santé publique et une faible valeur thérapeutique » ou classée dans le tableau 1. Bien que ce classement n’ait pas évolué depuis 50 ans, des études ont pu être menées sur les effets de la psilocybine. Les champignons hallucinogènes soigneront-ils bientôt la dépression chronique ?
L’étude clinique de la psilocybine, une bataille de longue haleine
Les chercheurs se sont intéressés aux effets thérapeutiques des psychotropes dès les années 50. La molécule de psilocybine a pu être isolée en 1958 par un chimiste suisse, Albert Hofmann. 40 000 patients ont testé des substances hallucinogènes diverses pendant les années 60, sous l’égide des chercheurs. Si les publications de l’époque prouvent que les testeurs se sentaient mieux après les essais, il ressort que le protocole scientifique était très aléatoire. De toute évidence, il ne correspond pas aux normes éthiques actuelles.
L’utilisation récréative grandissante des psychotropes a eu raison de ces études et la psilocybine a été classée au tableau 1 de l’ONU en 1971. Les recherches sur la substance ne sont donc pas encouragées : pour y accéder, les chercheurs doivent obtenir une autorisation gouvernementale.
Depuis quelques années, le monde scientifique se penche à nouveau sur le sujet et obtient surtout les autorisations pour étudier les substances hallucinogènes. Ainsi, on ne compte pas moins de 13 études menées sur la psilocybine en 2020. Nombre encourageant quand on sait qu’aucun nouveau traitement pour soigner la dépression n’a été étudié depuis les années 1970. Et ce, même « s’il s’agit du principal problème de santé publique dans le monde occidental » comme le rappelle le Pr Glyn Lewis, qui étudie les troubles psychiatriques à l’University College of London. Il complète en affirmant qu’étudier la psilocybine « pose simplement la question suivante : est-ce suffisamment intéressant de poursuivre plus avant les recherches comme traitement de la dépression ? Mon propre jugement est que oui ».
Le Pr Roland Griffiths, directeur fondateur du Johns Hopkins Center on Psychedelic and Consciousness Research, mène en 2016 une étude visant à évaluer les effets de la psilocybine sur la dépression. 51 participants, soit dépressifs soit atteints d’un cancer potentiellement fatal, y participent. Cinq semaines plus tard, 90 % des personnes ayant reçu une dose de psychotrope se sentent moins anxieuses. Selon lui, l’effet de la psilocybine serait quatre fois supérieur à celui d’un antidépresseur traditionnel.
Parallèlement, avec l’appui du conseil sur la recherche médicale, l’équipe du Dr Robin Carhart-Harris, psychologue et neuroscientifique à L’Imperial College of London, a pu mener des essais cliniques utilisant la substance active des champignons hallucinogènes. L’étude britannique s’est déroulée à l’hôpital Hammersmith, à Londres. 0n note que, si l’idée avait émergée dès 2012, ils n’obtiennent une autorisation qu’en 2015.
La psilocybine, la substance hallucinogène qui réinitialise le cerveau
Les études testant l’efficacité de la psilocybine sur la dépression portent sur des patients résistants aux traitements médicamenteux. Dans le cas de l’étude menée par Robin Carhart-Harris, la durée moyenne de maladie est de 17,8 ans. La cohorte de 2015 comprend 12 testeurs volontaires. Pour la plupart d’entre eux, ces essais sont considérés comme une dernière chance.
Le protocole comportait l’ingestion de deux doses de substance hallucinogène : l’une de 10 mg, testant la tolérance de la personne, puis une seconde de 25 mg, considérée comme celle du traitement. Les essais sont encadrés: un psychologue et un psychiatre sont présents au chevet du testeur durant le temps que dure l’expérience. Le docteur Robin Carhart-Harris explique qu’administrer des substances psychoactives à des personnes vulnérables ne doit pas être fait à la légère. Les effets peuvent être très puissants, allant jusqu’à la crise de panique. Dans des cas extrêmement rares, les produits psychédéliques tels que la psilocybine peuvent provoquer une réaction psychotique durable, le plus souvent chez les personnes ayant des antécédents familiaux de psychose. Tout est donc pensé en amont. Les testeurs sont installés dans une chambre d’hôpital réaménagée pour l’occasion. L’espace est rassurant : lumière tamisée, tentures dissimulant le matériel médical et musique douce. L’expérience peut commencer.
La sérotonine est un élément essentiel au bon fonctionnement cérébral : ce neurotransmetteur régule le fonctionnement de l’humeur. La psilocybine stimule les récepteurs de sérotonine. Elle introduit également un chaos dans le cerveau et agit comme si elle le reconfigurait. Elle brouille temporairement la frontière entre le soi et l’environnement. De nombreux testeurs témoignent en utilisant des analogies informatiques : réinitialisation, redémarrage, défragmentation. Pendant leur traitement, certains peuvent avoir des révélations. Ainsi, après l’expérience de sa deuxième dose, Andy témoigne : « j’ai appris que plus vous alimentez une chose avec de la haine, plus elle grossit ». Il décrit aussi la violence de ce qu’il a vécu : « je n’aimerais pas le refaire. J’ai été le plus heureux mais aussi le plus terrifié de ma vie, tout ça dans la même journée ».
John, témoigne quant à lui : « j’ai été confronté à toutes ces choses de mon enfance. Personne ne veut faire ça. Ça a été un après-midi horrible. Quel que soit le problème, la substance vous y emmène ». Il révèle sans le savoir, que le vrai travail de thérapie est de trouver le point douloureux de son histoire et de l’intégrer complètement à sa vie.
Les testeurs sont suivis plusieurs semaines après l’ingestion de la psilocybine. Six mois après l’expérimentation, les résultats sont présentés à la presse. 8 patients sur 12 ne souffrent plus de dépression au bout d’une semaine ; 5 ne sont plus dépressifs 3 mois après le traitement ; d’autres ont rechuté. Si les résultats sont prometteurs, les champignons hallucinogènes ne sont pas magiques. Un soutien thérapeutique est nécessaire. Il semble que la guérison vienne également d’une prise de conscience personnelle.
Reconnaître les symptômes de dépression pour une meilleure prise en charge
L’Organisation mondiale de la santé qualifie la dépression de « principale cause d’invalidité dans le monde ». La pensée dépressive crée un circuit automatique répétant les mêmes idées négatives, comme un mantra. La psychiatrie a un terme pour une telle pensée : la rumination. Si chacun de nous passe par des émotions telles que le découragement, la tristesse ou le désespoir, ces états passagers n’ont rien à voir avec la dépression. Cette maladie implique des troubles touchant tous les domaines de vie, sur une durée supérieure à 2 semaines. Elle se traduit par une souffrance morale permanente. Les malades n’arrivent plus à se concentrer ni à raisonner et ils ressentent une tristesse intense et continue. Leur vision négative du monde, et surtout d’eux-même, les paralysent.
Dans la dépression, il y a des causes inconscientes, sur lesquelles le malade ne peut pas agir. La volonté seule ne peut rien contre cette maladie. La moitié des personnes dépressives ne répondent pas aux traitements par antidépresseurs et 1 sur 6 finit par s’ôter la vie. Les résultats obtenus actuellement avec la psilocybine semble ouvrir un nouveau champ des possibles dans le domaine et redonner espoir aux malades. « La dépression, c’est comme une addiction, on apprend à la cacher » témoigne John, l’un des patients ayant testé la substance hallucinogène avec le Dr Robin Carhart-Harris.
Les différentes études montrent donc que la psilocybine permet, contrairement aux antidépresseurs, de pointer une cause de dépression. Cependant, l’accompagnement thérapeutique est nécessaire afin de traiter la source, de la transformer et de recommencer à vivre. Si la disparition de la psilocybine du tableau 1 de l’ONU faciliterait le travail des chercheurs au niveau international, plusieurs états des États-Unis sont déjà en train de légaliser ou de dépénaliser la psilocybine à des fins thérapeutiques ou récréatives.
Article rédigé par Perrine Nicolas