Un matériau est dit « supraconducteur » lorsqu’il est capable de transporter le courant électrique sans résistance (donc sans perte). Il est en mesure de léviter dans un champ magnétique, car il obéit à l’effet Meissner. Plusieurs éléments métalliques tels que le plomb, le zinc, l’étain et l’aluminium possèdent ces caractéristiques. Jusqu’à présent, ces matériaux ne peuvent conserver leur supraconductivité que dans certaines conditions complexes, notamment des températures cryogéniques ou des pressions très élevées. De ce fait, leurs applications pratiques restent encore limitées. Si ces obstacles sont levés, de nombreux secteurs d’activité comme la médecine, la production d’électricité et les transports pourront profiter d’une grande évolution. Le 22 juillet 2023, des chercheurs de l’Université de Corée ont affirmé avoir réussi à développer un matériau supraconducteur à température et à pression ambiantes. Mais cette nouvelle a été accueillie avec scepticisme par la communauté scientifique. Décryptage.
Les contraintes qui ont entravé les applications pratiques des supraconducteurs
La majorité des matériaux supraconducteurs actuels ne peuvent conserver leurs propriétés qu’à des températures extrêmement basses. En effet, il est nécessaire de les refroidir avec de l’hélium liquide jusqu’au zéro absolu (4,2 K, soit -269 °C). Il est à noter que plusieurs mécanismes encombrants, compliqués et onéreux sont indispensables pour maintenir ces températures cryogéniques. C’est pour cette raison que les appareils d’imagerie par résonance magnétique, équipés d’aimants supraconducteurs, ont une taille imposante et un coût élevé. Ces contraintes restent irrésolues malgré le développement des supraconducteurs plus avancés fonctionnant à la température de l’azote liquide (77 K, soit -196 °C). D’ailleurs, il existe aussi quelques supraconducteurs à température ambiante, mais qui nécessitent des pressions à environ 1,67 million d’atmosphère. Ils ne sont pas du tout pratiques.
Le LK-99 serait-il le supraconducteur idéal ?
Ces scientifiques sud-coréens ont publié sur arXiv deux papiers pour annoncer la création d’un supraconducteur à température et à pression ambiantes. Selon eux, ce nouveau matériau fonctionnerait à 400 K, soit 127 °C. Il s’agirait d’un alliage d’apatite au plomb et de cuivre. Cette trouvaille est baptisée « LK-99 » : « L » étant l’initiale du nom du physicien Lee Seok-bae, « K » celle du nom de Kim Ji-hoom et « 99 » rappelant l’année de la découverte du matériau (1999). En effet, cette étude a duré plus de vingt ans. Cette équipe a déclaré que ce matériau montre toutes les caractéristiques d’un supraconducteur, en l’occurrence une résistivité nulle et l’obéissance à l’effet Meissner. Dans leur deuxième papier, ces physiciens ont avancé une hypothèse sur comment cette supraconductivité à température ambiante a été obtenue. Ils ont parlé, d’une part, de la contraction de volume due à la modification de la structure de l’apatite au plomb et, d’autre part, d’une interaction coulombienne répulsive sur site.
Des doutes et des controverses autour de cette découverte
En raison des fausses alertes sur ce type de découverte dans le passé, la communauté scientifique se montre aujourd’hui méfiante face à cette nouvelle publication. Après l’annonce de ce possible supraconducteur KL-99, différents chercheurs du monde entier ont notamment exprimé leurs doutes sur Internet. Pour valider ces résultats, il faut attendre la procédure de vérification par des laboratoires tiers sérieux. De leur côté, d’autres équipes se mettent à reproduire le processus pour vérifier s’il aboutit vraiment aux résultats annoncés. Si leurs conclusions sont positives, alors on pourra classer ce supraconducteur parmi les plus grandes découvertes de l’humanité. Il permettra, par exemple, de fabriquer une solution de stockage d’énergie, de rendre moins encombrants les réacteurs de fusion, d’améliorer l’efficacité et la vitesse des trains Maglev, etc.
Les premiers retours sur les tentatives de réplication de l’expérience
D’après le physicien Julien Bobroff de l’Université Paris-Saclay lors de son interview avec Huffpost, la vidéo des chercheurs sud-coréens qui mettait en évidence la lévitation du matériau était surprenante. Cependant, il a précisé que de nombreux objets possèdent cette propriété, mais ils ne sont pas forcément sans résistance. Le 5 août, une équipe de l’Université des sciences et des technologies de Huazhong, à Wuhan, en Chine, a déclaré avoir reproduit l’expérience et avoir obtenu les mêmes résultats. Mais cette confirmation n’était pas prise au sérieux. Ces chercheurs chinois n’ont pas donné suffisamment d’éléments d’explication ni de justification dans leur vidéo. Cela les rendait peu crédibles.
Le 6 août, une équipe de l’Université nationale de Taiwan a annoncé que ses tentatives de réplication étaient un échec. Aux États-Unis, des scientifiques du département de physique de l’Université du Maryland ont expliqué que les conclusions des physiciens sud-coréens étaient erronées. Selon eux, il ne s’agit pas d’un supraconducteur, mais seulement un « matériau à haute résistance et de piètre qualité ». Notons que ce ne sont pas uniquement les scientifiques qui étaient tentés à vérifier la fiabilité du possible supraconducteur à température et à pression ambiantes. Certains amateurs ont aussi fait des retours sur les réseaux sociaux.
Par exemple, Andrew McCalip a affirmé que le matériau possédait seulement des propriétés ferromagnétiques, selon des tests effectués par un laboratoire. Celui-ci pouvait léviter, mais sa résistivité nulle n’était pas prouvée. Contrairement à cela, des simulations mathématiques auraient justifié la possibilité d’obtenir ce type de matériau supraconducteur. Pour éviter de s’embrouiller face à des retours d’expériences opposés, le mieux est d’attendre avec patiente les conclusions des physiciens indépendants qui vont vérifier officiellement l’étude. Celles-ci seront publiées dans une revue à comité de lecture. Plus d’informations : Arxiv.org