Encadrée par Christine Azevedo, l’équipe CAMIN travaille sur le développement de neuroprothèses capables de mettre en mouvement un bras paralysé. Cette technologie médicale simplifierait le quotidien de personnes atteintes de tétraplégie et leur redonnerait une certaine autonomie. Mais alors, comment peut-on faire bouger une main invalide ? Quel est le fonctionnement des implants utilisés dans le cadre du projet Agilis ? On vous explique tout dans cet article.
Bouger son bras : comment ça marche ?
Avant d’étudier comment un bras paralysé peut retrouver une certaine motricité, il est important de comprendre comment notre corps bouge. Pour cela, il faut se pencher sur le rôle de la moelle épinière. Semblable à un cordon de 1 cm de diamètre et de 45 cm de longueur, elle part du cerveau et descend le long de la colonne vertébrale. La moelle épinière se compose d’un réseau de neurones, comme de microscopiques câbles connectés les uns aux autres. Pour pouvoir lever un bras, la moelle récupère l’information émise par le cerveau et la transmet aux nerfs. Ces derniers font circuler l’information aux fibres musculaires. Par conséquent, les muscles se contractent et le bras se lève. Pourquoi une personne tétraplégique n’a-t-elle plus la capacité de réaliser ce mouvement ?
Redonner de l’autonomie aux personnes atteintes de tétraplégie
La tétraplégie correspond à une paralysie complète des quatre membres. La personne touchée par ce handicap souffre d’une rupture sur la partie supérieure de sa moelle épinière. Ainsi, le réseau de neurones s’interrompt au niveau de la lésion et l’information n’est plus transmise au reste du corps. En revanche, les nerfs et les muscles situés sous la lésion peuvent conserver leur intégrité et peuvent donc parfois être réactivés. La perte de ces fonctions motrices impacte fortement la santé, l’autonomie et la qualité de vie des personnes tétraplégiques. Des aides techniques leur permettent de retrouver une certaine indépendance. On peut notamment citer les fauteuils roulants motorisés, les lits médicalisés ou les douches PMR (Personne à Mobilité Réduite).
Mettre en mouvement un membre paralysé avec le projet Agilis
Mené par l’équipe Inria CAMIN (Contrôle Artificiel de Mouvements et de Neuroprothèse Intuitives), la startup Neurinnov, le centre Bouffard-Vercelli de Perpignan et la clinique Saint Jean OrthoSud de Montpellier, le projet Agilis s’inscrit dans cette démarche. Leur objectif est de redonner une certaine motricité aux membres supérieurs des personnes atteintes de tétraplégie.
Pour y parvenir, les chercheurs et médecins du projet ont développé une solution basée sur l’utilisation d’électrodes multicontact. Ces implants sont enroulés autour de deux nerfs situés au-dessus du coude de la personne paralysée. Comme expliqué plus haut, les fibres nerveuses ont conservé leur intégrité ainsi que celles des muscles. Par conséquent, leur stimulation permet de créer une contraction musculaire, soit un mouvement du bras invalide. La différence avec les précédentes approches, c’est que ce sont les nerfs qui sont stimulés et non les muscles des personnes en situation de handicap. Plus économique, cette solution est également moins invasive, puisqu’elle permet de réduire considérablement le nombre d’électrodes implantées. Toutefois, est-ce que ce dispositif permet de retrouver des gestes fonctionnels et contrôlés ?
Stimuler le nerf de personnes atteintes de tétraplégie sous anesthésie
Dans un premier temps, l’équipe du projet Agilis a sélectionné 8 volontaires pour tester leur dispositif, au cours d’une intervention chirurgicale programmée. Pour activer les contacts des électrodes lors des opérations, les médecins et chercheurs utilisent un courant électrique émis par un stimulateur électrique externe. Ce dernier est paramétré depuis un ordinateur.
https://www.youtube.com/watch?v=Hrjfpf3o3xQ
« Chirurgie de mise en place des électrodes | Inria / Images H. Raguet »
Les chercheurs ont restreint leurs tests afin de limiter la durée des opérations réalisées sous anesthésie générale. Ainsi, ils n’ont analysé qu’un seul nerf sur chaque patient. Néanmoins, les chirurgies expérimentales ont pu confirmer la possibilité de réaliser des mouvements spécifiques, même au niveau des doigts. Cependant, une stimulation identique ne vient pas activer les mêmes muscles chez les 8 personnes opérées. En effet, les nerfs sont constitués de fibres nerveuses qui s’entrecroisent. Le positionnement de ces fibres est unique pour chaque être humain. Par conséquent, les gestes obtenus sont différents. Mais d’ailleurs, comment peut-on activer un muscle spécifique à partir d’un nerf ? L’électrode se déroule et présente différents contacts à l’intérieur, ces derniers pouvant être activés individuellement. Ils sont répartis autour du nerf et viennent donc toucher différentes fibres nerveuses.
C’est pourquoi, lorsque les chercheurs activent un contact sur l’implant, une contraction musculaire spécifique est obtenue. Puisque chaque nerf est unique, alors un paramétrage sur mesure de l’électrode est nécessaire sur chaque personne atteinte de tétraplégie.
Paramétrer les électrodes avec la personne touchée par ce handicap
Dans un second temps, les chercheurs du projet Agilis ont réalisé un essai clinique d’une durée de 28 jours. Les deux participants ont une lésion de la moelle épinière au niveau des cervicales. Cependant, ils conservent un certain usage de leurs coudes et épaules. Cette seconde phase a démarré ç partir de l’implantation des deux électrodes chez ces patients volontaires. Pour cet essai, les contacts des électrodes sont également activés par un stimulateur électrique externe, paramétré par un ordinateur. En revanche, pour cette seconde phase du projet, le patient est éveillé. Il peut donc piloter lui-même le déclenchement de la stimulation. Pour cela, des capteurs sont placés sur des parties du corps, où la personne conserve un contrôle volontaire. Après leur intervention, les deux personnes atteintes de tétraplégie ont participé à des séances pour tester le dispositif. Ainsi, leurs tentatives de mouvement ont permis aux chercheurs un paramétrage optimal des électrodes pour la réalisation de gestes spécifiques et fonctionnels.
https://www.youtube.com/watch?v=Nd3-u8s7eVU
Légende : « Agilis – Test fonctionnels | Inria / Images H. Raguet »
Pour la première fois, l’équipe du projet Agilis démontre la possibilité de faire bouger un bras paralysé, avec deux électrodes. En revanche, les participants ne réalisent pas exactement les mêmes mouvements. De plus, la mobilité n’est pas aussi fluide que pour une personne n’ayant pas ce handicap. Malgré tout, les deux patients ont eu la capacité de réaliser certains principaux gestes fonctionnels de la main. Pour la première fois depuis leur accident, ils ont réussi à attraper une barre de chocolat et à tracer des lignes avec un stylo. De plus, ils ont été capables de ramener une fourchette vers leur bouche et de boire de façon autonome. Une fois les quatre semaines de test terminées, les électrodes ont été retirées.
Reprendre la main : quelle suite pour l’équipe CAMIN ?
Pour conclure cet article, le dispositif développé par l’équipe CAMIN présente des résultats encourageants. Les deux premières phases démontrent qu’il est possible de mettre en mouvement un bras paralysé, avec seulement deux électrodes, dans le but de réaliser des gestes fonctionnels. Leur paramétrage est complexe et doit être personnalisé pour chaque personne atteinte de tétraplégie, mais il fonctionne.
Une troisième phase du projet est en cours avec de nouveaux participants, afin de consolider les résultats avec de nouvelles données. Entre 2024 et 2026, la société Neurinnov va terminer le développement de cette technologie et une première implantation du système sera réalisée. Les électrodes et le stimulateur seront implantés de façon pérenne. De nombreuses innovations liées à la santé sont développées chaque année. Certaines utilisent une technologie médicale complexe, comme celle du projet Agilis. D’autres proposent une invention toute simple, comme ce coussin à caler entre une ceinture de sécurité et un dispositif médical. En revanche, elles défendent toutes l’objectif commun d’améliorer la qualité de vie des personnes malades ou en situation de handicap.
Article rédigé par Louise SIZUN