Marianne Calva et Alexis Vaisse ont répondu très gentiment à mes questions concernant leur projet. Ce dernier consiste en un logiciel : Instant Terra.
Comme son nom l’indique en partie, il s’agit de terra-formation. Les applications sont nombreuses et l’innovation proposée par Wysilab changera très probablement la performance de la génération d’image 3D à moyen terme et pour le long terme.
Aujourd’hui, la création de terrains numériques réalistes est un processus long. Ce qui induit donc des délais supplémentaires sur la création et donc la sortie des opus que nous attendons.
Instant Terra révolutionne la création de terrains 3D avec un process fluide, ultra rapide quelle que soit la taille des terrains. La génération de terrains gigantesques ne lui fait pas peur et les changements réalisés lors de la création sont visibles en temps réel.
J’ai eu le plaisir de leur poser quelques questions pour en apprendre plus.
Premièrement, peux-tu présenter Wysilab, votre parcours jusqu’ici ? Comment vous est venu l’idée d’Instant Terra ?
Nous sommes 2 anciens d’Ubisoft et l’on a travaillé sur un outil de simulation de vêtements (Motion Cloth) , et oui, c’est avec l’utilisation de Motion Cloth que les vêtements des derniers Assassin’s Creed bougeaient. Mais aussi les drapeaux de Far Cry 4 etc. Tout cela venait après le développement de Motion Physics, le moteur de physique utilisé aussi dans une dizaine de jeux à Ubisoft.
Nous avons côtoyé les artistes qui travaillaient sur des jeux se basant sur un très grand terrain (Steep, Ghost Recon Wildlands… pour ne citer que ceux-là).
Ils avaient du mal avec les outils existants car ces outils étaient dépassés par les nouvelles ambitions en terme de taille et de réalisme. Cela amenait régulièrement à des temps de calculs de 10 h => une nuit entière ! Pour recalculer tout le terrain après avoir fait une modification d’un paramètre. On comprend bien que dans ces conditions, les artistes devaient limiter leurs ambitions, ce qui engendrait pas mal de frustration.
Ces outils sont basés sur une logique qui limite leur capacité d’évolution. Il est devenu évident pour nous qu’il fallait un outil d’une nouvelle génération, repensé entièrement avec une nouvelle approche, pour pouvoir être à la hauteur des besoins.
Nous avons quitté Ubisoft courant 2016 afin de créer Wysilab, et de pouvoir développer nos logiciels basés sur des solutions innovantes.
Assez rapidement, Alexis a trouvé comment optimiser les temps de calculs pour qu’ils soient 10 à 20 fois plus rapides. Du coup on pouvait prévoir de recalculer un grand terrain en une heure au lieu d’une nuit, ou pour un plus petit terrain en 5mn au lieu d’une heure.
Rien que cela, c’était déjà très appréciable. Mais ce n’était pas suffisant. Nous voulions vraiment que l’artiste maîtrise ce qu’il faisait. Il faut comprendre que la quantité des données est énorme, pour les outils du marché c’est mission impossible de mettre à jour en temps réel toute cette masse de données, tout l’ensemble du terrain, au fur et à mesure des modifications effectuées par l’utilisateur.
Imaginez par exemple dans Photoshop, vous faites une modification disons sur les couleurs et vous ne pourriez pas voir le résultat sur la totalité de votre image. Il faudrait attendre plusieurs minutes ou plusieurs heures pour voir si la nouvelle couleur vous convient, et continuer… Ce serait plutôt pénible.
Notre logiciel Instant Terra permet de mettre à jour et de visualiser en temps réel le terrain, de la même façon que Photoshop permet de voir le résultat de chacune de vos modifications. Et ce, quelle que soit la taille du terrain géré, jusqu’à des milliers de km².
Si j’ai bien compris il s’agit de génération de terrains pour plusieurs domaines : l’industrie du jeu vidéo, les CGI et le VFX Studios. Pouvez-vous nous parler de la technologie utilisée sans trop en dévoiler ?
Les calculs sont parallélisés au maximum. On utilise toute la puissance disponible du processeur (CPU) et du processeur graphique (GPU) en optimisant leur exploitation de façon dynamique selon la configuration de l’ordinateur et des ressources disponibles à chaque instant.
Mais cela ne suffit pas si on n’a pas des algorithmes dont toute la logique tend à l’optimisation des performances. Il faut donc être très créatif pour trouver pour chaque calcul l’approche qui sera la moins coûteuse au niveau des ressources, sans dégrader la qualité du résultat final. Un challenge de chaque instant.
La technologie gère-t-elle les plans d’eau ? (mers, océans, grands fonds) Egalement, les vagues et l’activité marine ?
C’est prévu et ce sera le cas à terme. On pourra gérer plusieurs niveaux de plans d’eau pour ne pas se limiter à la mer. On pourra avoir des lacs à différentes altitudes. Pour les vagues et l’activité marine, non, ce n’est pas dans le scope. Cela dit, le phénomène d’érosion côtière sera prise en compte pour le réalisme. Notre outil est un outil « offline » : il sert à générer des données pré-calculées.
Imaginons que l’on veuille modéliser une faille, jusqu’à qu’elle profondeur peut-on modéliser avec instant Terra ?
Les limites dans les altitudes positives ou négatives permettent de modéliser sans problème tous les reliefs existants sur Terre, et plus encore.
De ce que j’ai lu, instant Terra est doué de réalisme et prend en compte l’érosion. Cela veut dire que si un jour un jeu vidéo sort avec une périodicité réelle, on peut imaginer que les décors changent en fonction des saisons ou d’événement comme des tremblements de Terre ?
Pour le moment Instant Terra génère uniquement le terrain nu, donc le relief. Et cela n’est pas impacté par les saisons. Pour une mise en scène concernant des tremblements de terre, il faudrait que l’artiste fabrique un terrain « avant tremblement de terre » puis change quelques paramètres pour générer un terrain « après tremblement de terre ».
Le réalisme est contrôlé grâce à la simulation d’événements naturels. Un terrain numérique a un aspect réaliste ou non. Parfois on ne sait pas dire exactement pourquoi le paysage numérique ne semble pas crédible.
Dans la vraie vie, nos paysages ont des millions d’années. Ils ont été façonnés par le temps. Ils ont subi l’érosion et le vieillissement dus à la pluie, à la neige, au gel, à la chaleur. Des rochers et des sédiments se sont déposés dans les vallées. Les côtes ont été érodées sous l’action des vagues. Et tout cela dépend du relief, du climat, de la nature du sol…
Pour rendre un terrain numérique réaliste, il faut savoir lui faire subir ces processus de vieillissement naturels, un peu comme un film qu’on passerait en accéléré. C’est la qualité des différents algorithmes d’érosion qui vont fournir un rendu final réaliste ou non.
Que permet la génération ultra rapide des terrains (20 fois plus vite que les autres systèmes) ?
Dans le domaine des jeux vidéo, il y a une course en avant pour des terrains de plus en plus grands, de plusieurs centaines voire plusieurs milliers de km². Diviser le temps de calcul par 10 ou 20 permet à la fois de jouer évidemment sur la rentabilité (le même résultat est atteint plus vite) mais aussi sur la qualité finale : avec le même temps de travail , ou avec moins de temps, l’artiste peut aller plus loin dans la qualité, plus loin dans les détails. Il n’est plus obligé de faire des compromis pour se limiter à ce que son outil actuel lui autorise.
Grâce à la prévisualisation en temps réel, l’artiste maitrise sa création et peut se permettre d’expérimenter sans perdre des heures à chaque test. Il peut explorer des pistes nouvelles et aller plus loin dans sa créativité.
La vidéo montre une manip sur un terrain de 16k x 16k soit potentiellement 256 km² et la manipulation reste fluide. Sachant que ça a été enregistré sur un PC portable sous-dimensionné par rapport à un PC classique de graphiste.
Les terrains peuvent-ils s’auto-générer sans intervention de développeur ?
Instant Terra se classe dans la catégorie des outils de génération procédurale. Les terrains sont générés à partir de règles (les dimensions, les hauteurs minimum et maximum, …). Chaque règle est un nœud, et l’enchaînement des nœuds forment un graphe dont le résultat est le terrain final.
Un outil comme Instant Terra fournit des dizaines de nœuds possibles combinables, chacun avec ses paramètres. Parmi ces nœuds, il y a des nœuds de génération à proprement parler, qui crée un terrain à partir « de rien » en fait à partir d’un bruit appliqué sur une surface. Le bruit de Perlin par exemple, est un classique dans la génération procédurale.
Donc on peut générer un terrain sans intervention manuelle. Mais Instant Terra offre un maximum de contrôle aux artistes : on peut combiner un ou plusieurs terrains très détaillés ayant une résolution importante avec un terrain plus grand et de résolution moins importante. Typiquement l’action va se passer dans les terrains très détaillés, entourés par des paysages immenses moins détaillés car visibles uniquement de loin.
De plus l’artiste a la possibilité de définir des masques pour contrôler les endroits où le terrain sera impacté par le calcul. On peut ainsi protéger certaines parties pour lesquelles l’artiste souhaite un contrôle manuel total en dehors de l’outil.
N’importe quels PC pourront-il afficher ce qu’est capable de réaliser Instant Terra ?
La configuration habituelle du PC d’un graphiste suffit largement pour profiter de tous les avantages de Instant Terra.
Que vous reste-t-il à concrétiser pour la sortie ?
Nous avons démarré un programme de béta privé en Mai avec quelques grands comptes qui se sont montrés très intéressés par notre outil. Les premiers retours suite à la beta fermée sont très bons. (Ndlr : Marianne me confiait encore dernièrement que les utilisateurs sont déjà super enthousiastes).
Puis nous serons en beta publique au cours du troisième trimestre 2017. Ces deux étapes vont nous permettre d’affiner et de finaliser notre outil avant une première release prévue en fin d’année.
Nous avons notamment du travail au niveau de l’interface, car nous avons bien entendu commencé à vouloir démontrer nos performances. Maintenant que nous avons les résultats escomptés, on doit travailler notre interface utilisateur. On veut absolument que notre outil soit simple d’approche et agréable à utiliser.
Disponible en 2017, dans quels prochains jeux vidéo ou supports verront-on votre moteur ? Avez-vous « des touches » ?
Oui mais …. chut ! En tout cas de belles promesses !
On espère que les résultats de notre logiciel seront visibles dans des premiers jeux ou films dès 2018.
Star Citizen peut-être ?
No comment.
Pour suivre votre aventure et vous soutenir, que pouvons-nous faire ?
Vous pouvez nous suivre sur les réseaux sociaux :
Les graphistes intéressés sont incités à utiliser la version béta (gratuite) dès qu’elle sera disponible et nous faire des retours pour nous aider à améliorer notre offre.
Merci beaucoup pour notre échange.
Merci à toi Jordan.
Instant Terra est compatible avec les outils habituels de créations graphiques : 3 Autodesk 3DS MAX, M Autodesk Maya, SideFX Houdini , Isotropix Clarisse iFX, Unreal Engine, Unity.
Wysilab est actuellement en période de recrutement pour un poste de de community manager anglophone en alternance à partir de la rentrée. Vous pourrez retrouver plus d’information sur cette page.
Les personnes intéressées peuvent s’adresser directement à Marianne Calva via son mail.
Merci à Fabien pour nous avoir mis en communication et merci à eux pour le partage de leur projet qui va révolutionner très certainement le monde numérique.
Nous ne manquerons pas de les suivre dans leur évolution. Je suis très content de vous partager cet échange et être un des premiers acteurs vous permettant de les connaître.
Crédit musical : LSF 7th Gear Remix de SmallRadio / Licence Creative Commons via ici