Cette réalisation est d’autant plus remarquable étant donné que cela fera bientôt 90 ans que cette structure a été prédite par le physicien théoricien américain d’origine hongroise Eugene Wigner. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas la première fois que des scientifiques ont tenté de parvenir à un tel exploit.
En 1990, V. J. Goldman, de l’Université d’État de New York, et son équipe avaient rapporté l’observation d’indices relatifs au cristal de Wigner dans des gaz d’électrons 2D exposés à un champ magnétique élevé. En mars de cette année, une autre équipe en a aussi détecté dans des super-réseaux disparates de dichalcogénure de métal de transition. Les chercheurs de la Lawrence Berkeley National Laboratory sont cependant allés encore plus loin: ils sont parvenus à arranger des électrons dans un ensemble ayant une structure en forme de nid d’abeille. Qui plus est, cet exploit a été immortalisé en images.
L’indispensable ralentissement des électrons
Mais comment ces chercheurs ont-ils réussi à créer leurs cristaux de Wigner ? Concrètement, ils ont commencé par la fabrication d’un appareil dans lequel on trouve des couches atomiques effilées de disulfure de tungstène (WS2) et de diséléniure de tungstène (WSe2). Au cas où vous ne le sauriez pas encore, ces derniers sont des semi-conducteurs qui ont la particularité de présenter beaucoup de similitudes. Un champ électrique a ensuite été utilisé pour assurer la régulation de la densité des électrons en libre circulation sur toute la longueur de l’interface qui dissociait les deux couches.
Cependant, la vitesse de circulation des électrons dans les matériaux habituels était trop élevée, ce qui avait pour effet de réduire l’impact du repliement entre leurs charges négatives sur leur comportement. Toutefois, Wigner a affirmé que cela pouvait être changé, du moins théoriquement. Pour y parvenir, il serait nécessaire de faire en sorte que le déplacement des particules atomiques se déroule assez lentement. Le concept consistait donc à refroidir le matériau pour que les électrons adoptent un arrangement qui limite leur mouvement; la température avoisinait le zéro absolu.
Un microscope à effet tunnel mis à contribution pour l’observation
Cela a eu pour effet la formation du cristal de Wigner. Cette réussite est également liée à la structure des appareils utilisés par les physiciens. En séparant les atomes de chacune des deux couches de semi-conducteur à des distances irrégulières, ces derniers ont pu former un réseau complexe de particules atomiques. En engendrant des zones d’énergie légèrement plus réduites, le motif en forme de nid d’abeille a contribué à la stabilisation des électrons.
Cette formation n’a pu cependant être immortalisée sans une nouvelle preuve d’inventivité de la part des scientifiques du Lawrence Berkeley National Laboratory. Aucune image ne pouvant être obtenue avec des dispositifs traditionnels d’imagerie dans ce genre d’expérience, ils ont dû recourir à un STM ou microscope à effet tunnel. Grâce à une sonde, l’appareil a permis de savoir où se trouvaient les électrons et d’observer leurs réactions au moment où ils subissaient une décharge électrique.
Une avancée majeure
D’une manière plus précise, on peut surveiller la surface du métal avant qu’un saut d’électrons y soit généré par une tension, qui engendre la création d’un courant électrique. Ainsi, il devient possible de deviner où se situent les électrons au sein de l’échantillon quand il y a une modification de l’intensité du courant.
Carmen Rubio Verdú, l’un des scientifiques en charge du projet, n’a pas manqué de féliciter ses collaborateurs pour cette avancée majeure. Plusieurs tentatives visant à photographier le Cristal de Wigner avec un STM avaient en effet déjà eu lieu auparavant, mais aucune n’a produit l’effet escompté. Cela est dû au fait que l’application directe du courant sur l’appareil à double couche entraine immanquablement la destruction des structures. Il suffisait pourtant de dissimuler le dispositif sous une couche de graphène, plus précisément sous une feuille de carbone, pour que tout se déroule à merveille. Et c’est ce qu’ont fait les physiciens du Lawrence Berkeley National Laboratory à l’origine de cette prouesse.
Pas de remise en cause pour la théorie de Wigner
Par la suite, quand un courant électrique a été appliqué sur le dispositif à double couche, il y a eu un léger changement au niveau de la structure électronique du graphène qui le protégeait. Ce phénomène a pu être observé grâce au microscope STM, et les images obtenues affichent nettement l’organisation caractéristique des électrons de Wigner.
Les scientifiques ont pu vérifier que les distances séparant les électrons dans le cristal sont plus importantes que celles entre les atomes dans les cristaux réels du matériau semi-conducteur. À noter que les résultats de l’expérience ont été partagés dans un article scientifique publié dans la revue Nature. Comme quoi, la théorie de Wigner qui date des années 30 ne peut être remise en cause !